L’Asie Centrale est vraiment une région de « l’entre deux », et cela saute aux yeux en observant la physionomie des habitants. Certains ont la peau foncée et les traits « Ouzbeks », d’autres ressemblent comme deux gouttes d’eau à des Chinois, et beaucoup semblent à mi-chemin entre les deux. Et, au milieu de tout cela, ne nombreux Russes, plus grands et plus blonds, complètent le paysage. Une vraie mosaïque! Il faut dire qu’en plus du patchwork de nationalités de la région (un peu comme dans les Balkans), la colonisation Russe du temps des Soviets a encore compliqué les choses. Et tous les motifs étaient bons. Par exemple, en 1966, Tachkent a été en grande partie rasée par un tremblement de terre. En signe de solidarité, des volontaires sont venus de toute l’URSS (c’est à dire surtout de Russie) pour aider à la reconstruction. Quelques temps après, Moscou a annoncé que 20% des logements reconstruits seraient réservés à ces « volontaires » pour qu’ils puissent s’installer en Ouzbékistan! La décision a conduit a des affrontements dans les années qui ont suivies, mais la plupart des Russes en questions sont restés. Aujourd’hui encore, l’Ouzbékistan semble schizophrène: les caractères en cyrillique côtoient les lettres de l’alphabet latin, et chaque ville semble posséder 2 centres, l’un russe et l’autre ouzbek…
Les conséquences de cette colonisation et du « diviser pour mieux régner » organisés par les Soviets pose encore de nombreux problèmes dans la région, en particulier en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan. Autour de la Vallée de Fergana, à l’Est de Tachkent, les frontières semblent ainsi dessinées en dépit du bon sens. Les pays s’entrecoupent selon les nationalités, les sommets des montagnes ou les potentats locaux, et pour couronner le tout certains territoires sont complètement enclavés dans un autre pays. En conséquence, outre les grandes difficultés de déplacement pour les populations locales, ces 3 pays s’en trouvent fragilisés. Le Kirghizstan, coupé en 2 par une langue de terre appartenant à l’Ouzbékistan et par une chaine de montagnes, vient de connaître sa 2ème révolution en 5 ans. L’Ouzbékistan ne doit sa stabilité qu’à son « état fort » (un vrai euphémisme), où le président Islam Karimov dirige le pays d’une main de fer depuis l’indépendance. Cette stabilité a en partie du bon, et toute la partie du pays à l’ouest de Tachkent semble en tirer quelque profit. En apparence, les troubles y sont rares, les touristes s’y sentent en sécurité, et l’extrémisme musulman semble ne pas y avoir pris racine. Alors que l’Ouzbekistan est (comme les autres pays d’Asie Centrale) très majoritairement musulman, à Tachkent, Samarkand et Boukhara, les femmes voilées dans la rue sont moins nombreuses qu’à Paris! En revanche, à l’est de la capitale, les choses sont très différentes. Dans la fameuse Vallée de Fergana, le fondamentalisme religieux est beaucoup plus présent, et les extremistes musulmans ont même organisé des attentats à Tachkent en 1999. En réaction, le pouvoir a souvent eu la main lourde, comme lors de la répression d’une manifestation dans la ville d’Adijon en 2005 ayant conduit à plusieurs centaines de morts… A la suite de cela, les pressions des occidentaux ont été fortes (beaucoup de grandes entreprises ont par exemple quitté le pays), mais celles-ci ont eu du mal à atteindre leur but. Il faut dire que l’Ouzbékistan est un pays avec lequel les Américains sont obligés de composer. Le pays sert en effet de base arrière américaine pour la guerre en Afghanistan, et reçoit pour cela des compensations financières substantielles. Cependant, la petite frontière avec l’Afghanistan reste également un sujet de préoccupation pour les Ouzbeks, et celle-ci est régulièrement fermée par l’armée pour éviter d’importer des troubles de leur chaotique voisin.
Et tout ceci n’est rien à côté de ce qui se passe au Tadjikistan. Ce pays est en effet tout proche de devenir un nouveau « failed state ». Sa longue et poreuse frontière avec l’Afghanistan le rend particulièrement vulnérable. D’une part, certains Talibans n’hésite pas à venir s’y réfugier en cas de problème, mais ceux-ci cherchent en plus à y exporter leur extrémisme. En plus de cela, l’écrasante majorité de l’héroïne Afghane est exportée via le Tadjikistan et le Kirghizstan vers la Russie ou l’Europe. Cela rend les mafias locales richissimes, et donc bien plus puissantes que les gouvernements centraux. Lorsque l’on ajoute à cela les affinités culturelles entre Tadjiks et Afghans (une partie du Nord Est de l’Afghanistan est peuplée de Tadjiks, comme l’était par exemple le commandant Massoud), il est facile de voir la fragilité du Tadjikistan. D’ailleurs, comme pour faire échos à cela, de violents affrontements ont eu lieu récemment dans la région. Il y a quelques mois, la révolution au Kirghizstan a été suivie par des massacres d’Ouzbeks autour de la ville d’Osh. Des milliers d’Ouzbeks (citoyens Kirghizes) ont ainsi été contraints à fuir vers l’Ouzbékistan, et à s’entasser dans des camps de réfugiés. Par la suite, au moment même où j’étais en Ouzbekistan, des révoltes ont éclatées au Tadjikistan, entrainant une réponse «musclée» du gouvernement. Un Français rencontré à Samarkand était justement en partance pour le Tadjikistan à ce moment là. Il n’avait pas l’air trop perturbé par les évènements, ceux-ci se passant selon lui à l’Est alors que la capitale Duchanbé se trouve à l’Ouest. Néanmoins, je n’aurais pas trop été rassuré à sa place…
Tout est donc loin d’être rose en Asie Centrale. Ces 5 pays (si on y ajoute le Turkménistan et le Kazakhstan) sont devenus indépendant sans vraiment le vouloir, presque par « accident ». Aujourd’hui, s’ils connaissent des destins différents, tous semblent n’avoir le choix qu’entre un système quasi-totalitaire et une instabilité chronique. Le Turkménistan est ainsi l’un des régimes les plus rigides et fermés du monde, et ne tient sa population que grâce aux richesses engendrées par ses colossales réserves de gaz. Le Kazakhstan, immense steppe en grande partie désertique, profite avant tout de sa richesse en minerais et en hydrocarbures. Mais tous ces pays de cet immense et méconnue région semblent se débattre contre des enjeux qui les dépassent. Les Russes tout d’abord veulent garder le contrôle de ce qu’ils considèrent encore comme leur empire, et tentent en permanence d’attirer ces pays dans des partenariats monétaires, politiques ou militaires. Les Chinois ensuite font des ponts d’or aux dirigeants locaux, construisent des routes, sécurisent leur approvisionnement énergétique, et inondent les marchés locaux de leurs produits. Les occidentaux, enfin, oscillent entre realpolitik et tentatives d’y consolider la démocratie, tout en oubliant pas d’y décrocher de gros contrats. En plus de cela, de part leur proximité géographique et/ou culturelle, les Iraniens et les Indiens commencent timidement à y apparaître.
Si l’Asie Centrale ne sera donc sans doute jamais une zone puissante et homogène, elle semble résumer les grandes lignes de force mondiales actuelles. Une Russie vacillante qui tente de conserver son rang, mais qui semble condamnée par son effondrement démographique et son incapacité à se réformer. Une Chine sans complexe, travaillant avec tous les régimes politiques, construisant des infrastructures, sécurisant ses ressources et vendant ses produits. Des Indiens qui se réveillent peu à peu. Des occidentaux, perpétuellement déchirés entre idéalisme et efficacité, qui ne maitrisent plus grand chose. Mais surtout, et de façon plus inquiétante, une violence en hausse. Des conflits inter-ethniques de plus en plus fréquents, un fondamentalisme musulman en passe de tout emporter sur son passage, et un combat de tous les instants pour des ressources de plus en plus limitées: eau, matières premières (coton, minerais), et ressources énergétiques. Et, au milieu de tout ça, l’homme de la rue qui n’y comprend pas grand chose, mais qui se dit que vivre en démocratie n’est pas forcément mieux que de vivre dans un système totalitaire type soviétique.
L’Asie Centrale, une région finalement essentielle?
Analyse passionnante, et la carte indispensable !
Oui c’est super intéressant et complet, je ne connaissais meme pas le tadjikistan! bisous!!