Bien que distantes d’à peine 300km, Asunción et Iguaçu sont vraiment à l’opposé en terme d’attractivité touristique. Ainsi, si personne n’a jamais compris pourquoi j’étais allé au Paraguay, les yeux de mes interlocuteurs s’illuminent dès que je parle d’Iguaçu. « Les chutes d’Iguaçu, c’est ça ? »
Iguaçu fait en effet partie de ces endroits, avec Niagara et Victoria, dont le nom est mondialement rattaché aux chutes d’eau qui s’y trouvent. Trois lieux d’une taille et d’une beauté inouïe, et que l’on ne quitte qu’à regret. Cependant, avant de les quitter, il faut déjà y arriver. Et ce n’est pas si facile…
Ainsi, pour les chutes Victoria et les chutes d’Iguaçu tout du moins, s’y rendre est vraiment compliqué. Lorsque j’avais eu l’immense chance de visiter les chutes Victoria, en plein cœur de l’Afrique Australe, je me souviens avoir du atterrir dans le Zimbabwe de Mugabe, avant de traverser la frontière séparant ce pays un peu fou de la Zambie, un autre pays un peu « complexe ». Des chutes de cette envergure formant un repère à la fois visible et fascinant, c’est tout naturellement qu’elles servent encore aujourd’hui de frontière entre ces deux pays. De même, et bien qu’elles soient devenues une sorte de Disneyland touristique, les chutes du Niagara servent toujours de frontière entre le Canada et les Etats-Unis.
C’est donc assez naturellement que les chutes d’Iguaçu, elles mêmes perdues dans une immense zone au cœur du continent sud-américain, servent de frontière aux pays qui les entourent. Ceux-ci ne sont d’ailleurs non pas 2 mais 3, puisque les chutes se répartissent entre le Paraguay, l’Argentine et le Brésil. Ainsi, les chutes se nomment au choix, selon le dialecte employé, « Iguaçu », « Iguazú », ou « Iguassu », et la zone entourant les chutes se nomme « région des 3 frontières ». Cette région perdue dans la jungle, au confluent des zones d’influence « portugaise » (Brésil) et « espagnole » (Argentine, Paraguay), mais aussi frontière entre les « riches » (le sud du continent) et les « pauvres » (plus au nord), est ainsi depuis longtemps le terrain de jeu des mafieux et trafiquants en tous genres.
La seule vraie ville aux alentours, Ciudad del Este (au Paraguay), est d’ailleurs un mythe en soi. Mon père me racontait que lors de son séjour là bas, à la fin des années 1970, les vendeurs de rue étalaient sur le trottoir des… bazookas (!) et que personne n’avait l’air de s’en émouvoir.
Vous l’avez compris, c’est le genre d’endroit que j’étais très curieux de visiter. Cependant, j’avais également compris que la ville n’était pas très sûre, et que le passage du pont marquant la frontière avec le Brésil était un peu dangereux. J’avais donc promis de ne pas m’arrêter dormir à Ciudad del Este, et de prendre un taxi depuis la gare routière pour passer la frontière. Mais pour cela, il me fallait d’abord arriver jusqu’à cette gare routière de Ciudad del Este…
En théorie, rien de plus simple. Il suffisait de prendre un bus depuis Asunción, et en quelques heures (5 de mémoire), le tour était joué. Cependant, le Paraguay est vraiment un pays perdu, et bien que Ciudad del Este soit la deuxième ville du pays, il n’y a pas tant de bus que ça qui relient les 2 villes. Après des heures de recherche, j’avais fini par en trouver un qui me permettait d’arriver avant la tombée de la nuit.
Le jour dit, je parti donc de bon matin prendre le bus de ville qui devait m’amener à la gare routière. Le système des ces bus à Asunción est un peu chaotique (surtout les jours fériés, ce qui était le cas), mais je fini par monter dans celui qui indiquait «Estación central ». On m’avait expliqué que le trajet devait durer 30mn, et je me plongeai donc dans mon livre. Les minutes défilèrent, 30mn, puis 40mn, 45mn, et je posai alors mon livre pour guetter le terminus de la gare. Celui-ci arriva au bout d’une heure. J’étais désormais au terminal du bus, mais… la gare routière internationale n’était pas là !
Je n’avais en effet pas pensé une seconde que le bus pouvait indiquer « Gare centrale » comme unique référence à l’avant, et que celle-ci ne soit pas son terminus… Je me suis donc d’un coup retrouvé dans un dépôt de bus en rase campagne, avec l’unique bus du jour pour Ciudad del Este qui partait 35mn plus tard. C’est d’ailleurs le seul moment de mon voyage où je ne me suis vraiment pas senti bien. Heureusement, le Paraguay ce n’est pas aussi dangereux que l’Amérique Centrale, et il était 11h du matin donc ça allait à peu près. Mais bon… Pendant 5mn un peu folles, j’ai tour à tour demandé au chauffeur quand partait le prochain bus dans l’autre sens, (pas avant 1 heure -> beaucoup trop), attrapé mon sac, dégringolé le chemin qui menait à la route, et scruté les quelques voitures qui passaient à la recherche d’un taxi. Ne voyant rien venir, je suis parti demander au boui-boui du coin s’il connaissait un taxi. Le gamin (il devait avoir 12 ans) m’a fait signe que oui, et est parti chercher quelqu’un avec toute la célérité que lui permettait son obésité naissante. A ce moment là, sorti de nulle part, un bus vide descend du dépôt avec « Estación central » dessus. Ni une ni deux, je saute dedans, et demande au chauffeur s’il pense être à la gare pour 11h30. Il me dit que c’est juste mais qu’il pense qu’il y sera. Je décide donc d’abandonner mon valeureux rabatteur de taxi (au moment où celui-ci semblait revenir), et de rester dans le bus. Je m’en suis un peu voulu d’avoir fait venir le taxi pour rien, et je me suis demandé si je n’aurais pas été plus vite arrivé qu’avec le bus. D’un autre côté, je n’étais pas sur d’avoir assez de guaranis (la monnaie locale) pour payer 30mn de taxi tout en ayant assez pour passer la frontière brésilienne en taxi. Vu que celle-ci est assez dangereuse, j’ai préféré jouer la sécurité. De plus, je pensais que j’avais moins de risque dans un bus que seul dans un taxi en rase campagne. Ne restait plus qu’à arriver à l’heure, et j’ai passé 30mn vraiment crispé à guetter l’arrivée de la gare. Finalement, je suis arrivé 3mn avant le départ du bus, et je me suis effondré dedans, heureux et soulagé.
Le reste du voyage s’est déroulé sans encombre. Au fur et à mesure de l’avancée, la terre devint plus rouge, et la forêt amazonienne céda la place aux plaines des Latufundis, ces grandes exploitations agricoles souvent gérées par les descendants d’immigrés allemands.
Une fois arrivé à Ciudad del Este, je tins ma promesse et pris un taxi officiel. Le prix était un peu élevé, mais je n’ai même pas essayé de négocier. Une fois arrivé à la frontière, je m’en suis d’ailleurs vivement félicité. L’endroit donne une telle impression de capharnaüm, de saleté, et de dangerosité que je me sentais beaucoup mieux dans un taxi officiel que dans un bus surchargé, voire à pied. Une fois les formalités terminées, je pus alors traverser le « Pont de l’Amitié » et rejoindre le Brésil.