Une fois le Chili quitté, mon tour du monde a repris son cours normal. Ayant retrouvé le sommeil dès mon arrivée au Paraguay, j’ai pu retrouver la forme et ma soif de découverte. J’ai également retrouvé mon niveau d’espagnol, ce qui simplifie les choses lorsque l’on souhaite rentrer en contact avec les habitants et découvrir un pays.
Mais y-avait-il vraiment quelque chose à découvrir au Paraguay ? Pour beaucoup, la réponse est non. Déjà, nombreux sont ceux qui savent pas que le Paraguay est un pays, sans même parler de savoir le situer sur une carte. Enclavé, de taille réduite à l’échelle de l’Amérique Latine, et faiblement peuplé, le Paraguay est un endroit qu’il est facile d’ignorer. Le monde ne découvre son existence qu’au gré de quelques exploits footballistiques, pour mieux l’oublier tout de suite après. Du coup, quand j’ai annoncé que j’allais visiter le pays lors de mon court tour du monde, j’ai souvent eu droit à la question : « Mais qu’y a-t-il à faire au juste au Paraguay ? »
Pas grand-chose en effet. Le Paraguay fait partie de ces endroits un peu perdus, où rien n’est vraiment exceptionnel, et où par conséquent les touristes posent rarement leurs valises. Mais cela veut-il dire qu’il n’y a aucun intérêt à visiter le pays ? Rien n’est moins sur.
Tout dépend déjà de ce que l’on cherche. De mon côté, je voyage pour comprendre le monde dans lequel je suis. Comprendre les hommes avec qui je partage la Terre, comprendre leurs modes de vie, leurs envies, leurs craintes. Comprendre ce qui les fait avancer, et comprendre où ils vont. Je fais ça par curiosité, mais aussi par intérêt. Comprendre le monde dans lequel on vit permet de mieux anticiper le monde de demain, et de pouvoir prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour s’y préparer. Ainsi, ne serait ce que parce que le Paraguay existe, que des humains vivent sur ce territoire, et qu’ils se sont organisé en pays, j’avais envie de m’y rendre. Mais alors pourquoi cet endroit là, et pas un autres pays proche, comme l’Uruguay ?
A cela, je répondrai trois choses. D’abord, un aspect bassement matériel. Lors de la préparation de mon voyage, j’avais réussi à dénicher un billet d’avion m’y amenant à un prix défiant toute concurrence, et cela a bien évidemment compté. Deuxièmement, atterrir au Paraguay me permettait de rejoindre le Brésil via les chutes d’Iguaçu (voir post dessus), qui valent vraiment le coup. Mais plus que cela, j’avais envie de passer quelques jours dans un endroit où il n’y avait justement rien à voir. Un endroit faisant échos à beaucoup d’autres endroits sur terre, sans rien d’exceptionnel. Un endroit moyen, ni vraiment petit ni vraiment grand, ni affreusement pauvre ni scandaleusement riche. Une sorte de chaînon manquant entre ma visite d’un parc High-Tech à Bangalore et celle du bidonville de Daravit quelques jours plus tard à Bombay. Un endroit, en définitive, où les hommes se sentent aussi éloignés des grands centres de pouvoir mondiaux que des bidonvilles africains. Un endroit certes banal, mais d’une banalité partagée par des centaines de millions de personnes.
Et pour tout dire, je n’ai pas été déçu. Je n’ai en effet pratiquement rien vu à Asunción, la capitale du Paraguay, mais ce « rien » était en soit intéressant. Premièrement, parce que cela voulait dire que je n’étais pas forcément à l’endroit qu’il fallait. Dans ces villes Latino-américaines, le « centre-ville » n’est ainsi pas aussi important que dans les villes européennes. Je l’avais compris en lisant le Lonely Planet, mais les quelques pages consacrées à Asunción ne m’avait pas permis de comprendre quels étaient les endroits où il fallait poser ses valises. J’avais bien noté qu’il y avait une sorte de ghetto à riches plus à l’est, mais ça n’avait pas l’air beaucoup mieux, et je m’étais donc installé dans le centre.
Pendant 2 courtes journées, j’ai ainsi arpenté le centre d’Asunción, et je dois avouer que je n’ai jamais rien vu d’aussi peu intéressant. Malgré ses 2 millions d’habitants, la ville n’a quasiment pas d’intérêt. Le grand fleuve Paraguay est pollué et pas vraiment accessible à pied, les places sont d’une laideur insigne, et les gens pas franchement accueillants. La ville semble petite et vide, ce qui veut dire qu’elle est sans doute très étendue et que les rares endroits intéressants sont très éloignés les uns des autres. Comme j’étais à pied, et que les locaux me disaient en permanence de ne pas m’éloigner car c’était dangereux, je n’ai pas pu découvrir grand-chose de captivant.
Du coup, je me souviens surtout de quelques détails. L’arrivée à l’aéroport, où je suis tombé sur une plaque en l’honneur des « glorieux aviateurs français » de la ligne aéropostale « Toulouse – Amérique du Sud », si bien décrite par Saint-Exupéry dans Vol de Nuit. De la tornade qui s’est abattue sur la ville le premier soir, arrachant les cheminés et créant des coupures d’électricité. Ou encore de cette discussion avec un Japonais dans un resto miteux sur les utilisations des différents alphabets phonétiques en japonais par rapport aux idéogrammes, l’un des moments les plus surréalistes de mon voyage.
Mais je me souviens aussi des pauvres qui campaient dans les squares, sous les banderoles vantant les festivités à venir pour le bicentenaire du Paraguay, et les tags accusant les députés de « vendre la patrie ». Je me souviens des bidonvilles crasseux jouxtant l’Université catholique d’Asunción qui arborait le drapeau du Vatican. Je me souviens des discussions avec la tenancière de l’auberge, expliquant que l’immigration européenne ici avait été surtout le fait de fermiers Allemands, dont les descendants possèdent aujourd’hui les grandes propriétés agricoles du pays.
Le reste, la glorieuse histoire passée du pays et ce qu’il en reste aujourd’hui, je ne l’ai pas vu. Le Paraguay a certes été jadis un pays plus grand, et même plus développé que ses voisins grâce à ses mines, mais cette époque est révolue. Une série de guerres contre le Brésil, dont une terrible entre 1865 et 1870, a eu raison des rêves de grandeur du pays. Le Paraguay avait alors perdu une partie importante de son territoire, mais surtout près des deux tiers de sa population ! Les femmes étant alors quatre fois plus nombreuses que les hommes, il s’agit de la seule fois de son histoire où l’Eglise catholique a autorisé la polygamie. L’équilibre démographique s’est depuis complètement rétabli, mais le pays n’a jamais retrouvé son importance. Le Paraguay semble aujourd’hui encore une sorte de « tampon » entre le monde « portugais » et le monde « espagnol », entre la forêt amazonienne et les Andes, et entre la partie plus développée de l’Amérique du Sud (au Sud) et celle qui tarde à décoller plus au nord.
Le Paraguay, finalement, a du mal à exister. Ses voisins s’en désintéressent au point qu’au Brésil personne n’a accepté de changer le reste de mes billets. Ses propres habitants n’aiment pas plus que ça leur pays, et beaucoup rêvent de le quitter. Pourtant, deux choses contribuent à cimenter le pays. La langue guarani tout d’abord, une langue indienne reconnue officiellement depuis longtemps, et que parle près de 90% de la population! Ainsi, 50% des Paraguayens sont bilingues espagnol-guarani, mais 40% ne parlent que guarani contre 5% qui ne parlent qu’espagnol. Le Paraguay est du coup le seul pays d’Amérique Latine « hispanisante » où l’espagnol est supplanté par une langue indienne. De même, le foot est l’une des rares « causes nationales » au Paraguay. Lors de mon séjour, la Coupe du Monde 2010 venait de s’achever, et le monde entier avait alors découvert ce petit pays coincé contre les grands qui avait atteint les quarts de finale. Le pays entier était en liesse, les gens ayant enfin une raison d’être fiers de leur nation. D’ailleurs, les 2 sont parfois mêlés. Pour éviter de divulguer leurs secrets lorsqu’ils jouent contre des équipes hispanophones, les joueurs Uruguayens se parlent entre eux exclusivement en guarani…
Ainsi, même dans un pays aux contours mal définis, à l’histoire torturée et au développement peu avancé, les habitants se rattachent pour leur identité à deux choses plus que tout : leur langue et le sport.