Où sommes-nous donc ? A Dunedin.
Au bout du monde, au bout de mon voyage. Un endroit magique, hors du temps, qui vous fait prendre conscience de tout le chemin parcouru jusqu’ici, et vous donne presque envie de vous arrêter là. Pour comprendre, il faut parler un peu de géographie. Dunedin est en effet l’un des endroits les plus éloignés de la France qui existent. La distance avec Paris est de 19 065 kilomètres ! A ce niveau là le terme « antipode » est vraiment justifié. Pour rappel, la longueur totale de l’équateur est d’environ 40 075 kilomètres, et donc être à 20 037 kilomètres d’un point veut dire être à son exact opposé sur terre. Moi qui aime tant la France, je n’en ai jamais été aussi loin.
Et pourtant, je me suis rarement senti aussi bien quelque part. L’exotisme doit jouer, c’est sur, même si ce n’est pas l’exotisme des tropiques, avec ses palmiers et sa mer turquoise. Ici c’est plutôt l’exotisme polaire. La mer est belle mais sombre, les plages sont blanches mais balayées par les vents, et les rochers sont majestueux mais fouettés par les vagues. Ici, on n’est pas dans le beau ni le doux. On est dans ce que mon prof de culture générale de prépa appelait le sublime. Ici, on sent la force brute de la nature, sa violence, sa capacité à détruire. Et par ricochet, on sent toute la force de la vie, cette vie qui s’accroche à cette terre malgré tout, et qui nous donne à chaque instant des leçons de courage.
C’est donc dans cet endroit fascinant que je suis arrivé après Queenstown. Pour ce qui est de la ville elle-même, je vous raconterai ça dans le post suivant. Aujourd’hui je veux plutôt vous parler la péninsule de l’Otago. A 45mn de Dunedin, le bout de cette péninsule est un surprenant paradis polaire. Il faut dire qu’on est ici à moins de 3 000 kilomètres de l’Antarctique, ce continent qui me fait tant rêver. D’ailleurs, mon premier contact avec les lieux a été avec un… manchot ! Et pas un manchot dans la mer ou caché dans les glaces. Non, comme je l’ai appris ce jour là, les manchots raffolent des herbes hautes et des petites collines au bord des plages, où ils peuvent se cacher dans des trous. Assez loin de l’image des manchots du pôle sud que l’on peut avoir. Nous avons en plus eu la chance d’avoir un manchot aux yeux jaunes qui est passé à 2 mètres à peine de nous.
Un peu plus tard, le festival animalier s’est poursuivi. J’ai ainsi pu voir une quantité de phoques se prélassant sur les rochers, couinant, se battant entre eux, et ramenant du poisson pour leurs petits. J’ai également eu la chance d’approcher un lion de mer à quelques mètres sur la plage, et voir de près une telle bête était assez impressionnant. Dans un registre plus décalé, notre groupe a aussi fait une ballade sur une grande falaise, où le vert de l’herbe n’avait rien à envier avec celui de l’Irlande, et où un troupeau de jeunes moutons gambadait gaiement. En m’approchant, j’ai cru un instant apercevoir le « Nano » de mon enfance, cet agneau que j’avais adopté en Vendée du haut de mes 4 ans, et que je cherchais partout dans les rues lors de mon retour à Paris (!)
Mais le meilleur restait à venir, et il se trouvait du côté des oiseaux. Tout d’abord, nous avons eu la chance de croiser dans le parc de nombreux cygnes noirs. Ils étaient vraiment magnifiques, et on ne pouvait s’empêcher d’imaginer le choc qu’on eu les premiers colons en débarquant ici. En effet, l’expression « Black Swan » est utilisée en anglais pour décrire un évènement quasi impossible, une aberration statistique. Et c’est bien de cela qu’il s’agit en Nouvelle Zélande, pays de tous les possibles, de toutes les surprises.
Et de toutes les rencontres. La dernière de la journée pour moi a eu lieu tout au bout de la péninsule, où se dresse le Royal Albatros Colony center. A cet endroit, en haut d’une falaise dominant la mer, se trouvent les Albatros. Ceux-ci, attirés par la configuration des rochers favorisant les nichées, sont partout. Ils tournoient au dessus de nous, s’approchent pour nous toiser, puis remontent vers les cieux. C’est lent, majestueux. Et tout d’un coup, mon esprit s’est souvenu comme par magie de L’Albatros de Baudelaire :
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Rassure-toi Granny, on apprend encore des poèmes aux enfants. Et parfois même ils s’en rappellent 15 ans plus tard, et en comprennent toutes les significations qui leur avaient échappé lors de ces terribles commentaires composés. En écrivant ces lignes plus d’un an et demi après, il m’a d’ailleurs suffit de fermer les yeux et de réciter ce poème pour que tout me revienne. La mer, le vent, le soleil austral. Et les Albatros.