Mon retour dans le monde développé a été très agréable. Dès mon arrivée à l’aéroport, Lieven m’attendait avec son fils d’un an, Arthur. Lieven est l’un de mes anciens managers chez KPMG, avec qui j’entretiens d’excellentes relations. Nous avons eu l’occasion de passer des semaines entières ensemble sur des projets, en Allemagne, Angleterre, etc. et entre le travail, les avions et les soirées à l’hôtel, nous avons eu le temps de bien nous connaître. Vu que nous avons pas mal de points commun le courant est très vite passé. En effet, Lieven est encore pire que moi au niveau vie à l’étranger: Belge de naissance (un vrai Flamand!), Lieven a rencontré sa femme (Cam Thi, une Française d’origine Vietnamienne) en master à Grenoble, avant de partir travailler à Francfort, puis de s’installer avec elle à Londres pour rejoindre KPMG. Muté à Paris un an, Lieven a pour finir décidé de rejoindre le bureau de KPMG à Singapour. Le petit Arthur y est né, et il aurait d’ailleurs pu prendre la nationalité Singapourienne (pour complexifier encore un peu les choses!). Las, pour éviter le service militaire de 2 ans qu’il aurait du accomplir, cette idée a été abandonnée. Mais je vous rassure, le petit Arthur, à qui sa maman parle en Vietnamien, son père en Flamand, et ses maîtresses d’école en Anglais et en Mandarin, semble être sur la voie royale pour intégrer l’INSEAD dans une petite trentaine d’années! Un concentré de Singapour en somme…
Car ici, tout est compliqué lorsqu’il s’agit d’identité. Géographiquement, Singapour devrait appartenir à la Malaisie, mais même cela peut prêter à débat. Si l’île (car c’est bien une île!) n’est qu’à quelques kilomètres de la partie péninsulaire de la Malaisie, l’Indonésie est également toute proche. De plus, en raison du découpage bizarroïde des côtes, péninsules et îles dans la région, il se trouve que Singapour est pratiquement à mi-chemin entre la Chine et l’Inde, en faisant un point maritime absolument stratégique.
Au delà de toutes ces considérations géopolitiques, j’étais vraiment content de retrouver Lieven et sa famille. Il faut dire qu’en plus d’être très sympa, Lieven et Cam Thi sont également généreux et très intéressants! Nous avons ainsi parlé de nos projets respectifs, de la vie à Singapour, et du futur de l’Asie. Et en même temps j’ai été reçu comme un roi, ce dont je profite ici pour les remercier encore une fois.
Le lendemain de mon arrivée a été consacré à « l’open day » de ma promotion de l’INSEAD sur le campus de Singapour, ce qui a été un moment très sympa (voir post 4.2 – INSEAD). Le dimanche, j’ai pu visiter Singapour avec Lieven. La cité-état est vraiment une curieuse entité. Lorsque les britanniques en ont obtenu le contrôle, l’île était pratiquement inhabitée. Aujourd’hui, 75% de ses citoyens sont d’origine chinoise, 15% d’origine malaise et 10% d’origine indienne, sans compter toutes les autres nationalités et les étrangers, qui représentent plus de 40% de la population. Un curieux mélange, donc! Et un aspect fondamental pour comprendre pourquoi Singapour est indépendant. Lors de la formation de la Malaisie, Singapour a d’abord fait partie de la fédération, mais en a été « exclu » quelques années plus tard. En effet, lors de l’indépendance, les malais ont eu peur que les Chinois de Singapour, s’ajoutant aux nombreux Chinois déjà présents dans le reste de la Malaisie, ne compromette durablement la prédominance des Malais dans le nouvel état. Même si cette version reste en partie contestée par les Malais, il n’en reste pas moins que Singapour a été l’une des seules régions de l’histoire a être expulsée de son pays (en général les états sont prêts à la guerre pour éviter une sécession!).
Aujourd’hui, Singapour est donc un petit îlot au milieu d’un grand océan (superficie = 710km², 4 fois moins que le Luxembourg!), mais un petit îlot ultramoderne. La démocratie, la liberté d’expression, etc. y sont très limités, mais le niveau de vie est très élevé, surtout pour les standards de la région. Dépourvu de ressources naturelles et de marché intérieur, Singapour a tout d’abord misé sur l’import-export avec son port idéalement situé et aujourd’hui ultra efficace. En parallèle, Lee Kuan Yew (le fondateur du Singapour moderne et père de l’actuel premier ministre) a d’abord misé sur l’export de produits bas de gamme exploitant la main-d’œuvre bon marché de l’île. Avec l’augmentation des salaires, la production a par la suite évolué vers les produits manufacturés à plus haute valeur ajoutée (électronique, etc.). Cependant, l’industrialisation des pays voisins a également eu raison de ce type d’industrie à Singapour. Désormais, la cité-état veut devenir une ville vivant de « l’accueil », tant de touristes que de businessmen venus pour des congrès internationaux. Et pour s’adapter à cela, la ville change à toute vitesse. L’aéroport vient d’inaugurer l’un des terminaux les plus modernes et efficaces du monde (Lieven arrive chez lui 40mn après que l’avion ait atterri!), le chinois est désormais obligatoire à l’école pour capitaliser sur l’essor de la Chine (en plus de l’anglais, toujours la lingua franca de l’île), une multitude d’évènements sportifs voient le jour, des parcs hôteliers et des centres de conventions exceptionnels poussent un peu partout, etc.
Pour mieux comprendre cette révolution en cours, j’ai fait avec Lieven le tour de la Marina, qui résume à elle seule la plupart des grands enjeux de Singapour. Située au centre de la ville, la Marina est constituée d’un gigantesque cercle entourant ce qui semble un bras de mer. Mais, première surprise, l’eau enfermée dans le cercle n’est pas de l’eau salée mais de l’eau douce. Il faut dire que Singapour est passé maître dans l’art de dompter les éléments, et de donner plusieurs usages à ses infrastructures. Ainsi, l’eau douce retenue par la Marina sert de réserve stratégique en cas de conflit avec la Malaisie, qui fournit l’immense majorité de l’eau de Singapour. De la même façon, l’autoroute qui mène de l’aéroport au centre ville est conçu avec un terre plein central pouvant être enlevée à tout moment: en cas de bombardement de l’aéroport, l’autoroute est en effet conçue pour servir de piste d’atterrissage de substitution… En plus de cela, le pays gagne chaque année plusieurs kilomètres carrés de superficie sur la mer à grand renfort de remblais, et rentabilise ces terres par des investissements immobiliers juteux. Ainsi, la partie nord de la Marina qui était auparavant le front de mer se retrouve aujourd’hui à plus d’un kilomètre de la côte!
Faire le tour de la Marina, c’est également voir de ses yeux la formidable machine à attirer les visiteurs qu’est devenue l’île. Tout d’abord, Singapour étant quasiment au niveau de l’équateur, cette ballade se fait pratiquement toute l’année sous un grand soleil et par une agréable chaleur. En avançant, on passe par des statues d’un lion de mer d’inspiration chinoise, mis en avant par le gouvernement afin de créer une symbolique nationale. Juste après, on tombe sur un ensemble de gradins et de grands garages, qui constitue le cœur du Grand Prix de Singapour de Formule 1 récemment créé. En continuant, on passe sur un pont « hélicoïdal », avant d’arriver sur une grande esplanade. Le dimanche, on y aperçoit une autre partie de la force cachée de Singapour: les ouvriers Indiens et Pakistanais. Ceux-ci viennent en effet souvent y passer leur seul jour de repos, s’asseyant par groupe de dix ou douze et profitant de la vue sans dépenser leur pécule durement amassé au cours de la semaine. A la fin de la boucle, se dresse le quartier des affaires, remplis de tours similaires à celles de Dubaï ou de la Défense. Et derrière, des grues qui s’agitent pour encore combler la mer, et repousser la côte un peu plus loin. Viennent enfin d’autres grues, prêtes à construire d’autres tours ou (le gouvernement le répète assez souvent) des jardins publics. Singapour se rêve en effet en ville-jardin, ce qui n’est pas complètement usurpé d’ailleurs au vu de tous les arbres et parcs que compte la ville.
Mais les 2 plus récentes et plus intéressantes construction de l’île se dressent au milieu de tout cela. La première paraît presque banale à première vue. Il s’agit d’un immense centre commercial, plat, ultramoderne et très lumineux. Rien de si spécial pourtant à part la présence en son sein d’un… casino! Cela peut paraître anecdotique, mais à Singapour il s’agit d’une révolution. En effet, sous l’impulsion de Lee Kuan Yew, Singapour est depuis cinquante ans une ville « sans vice », tellement propre et ordonnée qu’elle pour certains comme aseptisée. De fortes amendes sanctionnent le simple fait de jeter des papiers par terre ou de donner à manger aux oiseaux, ou (jusqu’à récemment), d’importer un paquet de chewing-gum! Pour moi, cet aspect propre et organisé de la ville n’a rien d’oppressant. D’ailleurs, les touristes qui disent adorer les villes sales et chaotiques sont souvent ravis de rentrer dans leur pays bien organisé au bout de quelques semaines… Mais il y a certains aspects sur lesquels les choses sont plus discutables, et les casinos en font partie. Craignant à juste titre les effets dévastateurs que peuvent avoir les jeux d’argent sur une population, Lee Kuan Yew avait toujours déclaré qu’il n’y aurait pas de casinos à Singapour de son vivant. L’énigmatique Lee a pourtant finit par accepter que la transformation de Singapour en ville basée sur le tourisme passait par l’ouverture de ce dont les touristes (et en particulier les Asiatiques) demandaient avec insistance, c’est à dire l’ouverture de casinos. En revanche, tout cela reste très contrôlé pour les non-touristes (citoyens et résidents permanents), avec un droit d’entrée de 100$ de Singapour à acquitter (autour de 60 euros).
La deuxième attraction récente se trouve juste derrière le casino, et celle-là a fait parler d’elle dans le monde entier le jour de son inauguration. Sur encore d’autres terres prises sur la mer, se dresse en effet un ensemble de bâtiments complètement fous… Destiné à devenir l’un des symboles de Singapour, il s’agit de 3 grandes tours posées les unes à côté de autres comme 3 grands pieds, couvertes par une immense plate-forme s’appuyant sur (et dépassant) les trois tours. Un rêve d’architecte, un cauchemar d’ingénieurs et de constructeurs, pour un rendu époustouflant. Au centre des tours, encore des centres de conférence et des hôtels (pour loger les touristes du casino en particulier), et sur la plate-forme des piscines, des bars, etc. Mégalo-maniaque, futuriste, anti-écologique, prouesse architecturale, rêve de tout touriste (ou tout ça à la fois!), voilà un bâtiment qui symbolise la nouvelle orientation de Singapour, tout comme la vison et la folie des hommes qui la dirige…
Un tout petit pays, donc, mais riche et fascinant. Je suis heureux d’y revenir l’année prochaine 2 mois avec l’INSEAD!
j’imagine une sorte de Dubai sans les grues, la poussiere et totalement aseptisé ?
j’ai juste ?
Il faut que tu ailles voir la piscine de cet hotel, elle est dingue (parait-il…)
Bon, cela manque un peu de photos tout ça… j’ai hate de voir tout ca à ton retour.
La bise vieux,
A.
et l’arrivée sur Kuala Lumpur ? tu nous en parleras quand ? as-tu pris le merveilleux train « the Legend of Peninsula » ? ou bien as tu persisté dans les auberges de jeunesse ?
ah oui! c’est de là haut que les plus riches on pu regarder le grand prix de F1!!! FOU